Participation politique : entre subversion et invention d’utopies

PARTICIPATION POLITIQUE : 
entre subversion et invention d’utopies[1]
Christian Mukadi, SJ

 (Abstract) Après une analyse des différentes rationalités que développent le « bas-peuple » et le haut lieu du savoir sur la situation sociopolitique de l’espace Afro-congolais, nous parvenons à conclure qu’il y a urgence de former la nouvelle génération Afro-congolaise à la subversion. Celle-ci est comprise comme une nécessité de dialogueravec un ordre sociopolitique inopérant ; en vue d’une remise en question radicale, mieux une rupture avec ce dernier. Ceci, dans une perspective de proposer des nouvelles utopiesqui donnent des raisons d’espérer.  
Introduction    
Il est question, dans notre dissertation, de faire une analyse de l’actualité sociopolitique de la région des grands Lacs en général et de la RD Congo en particulier. L’objectif est de comprendre la dynamique profonde qui mobilise ou immobilise nos peuples face à la réalité tragi-comique dans laquelle ils vivent. Cette analyse  nous permettra, non seulement de saisir l’intelligence qui se déploie dans notre société, mais aussi de proposer des pistes de solutions à même de l’aider à sortir de la grande nuit(Achille Mbembe). 
Nous articulerons notre propos en trois points. Dans un premier temps, nous ferons une ébauche de la situation sociopolitique de le la Région des Grands Lacs africains et celle de la R D Congo, que nous prendrons comme paradigme. Il sera question de souligner le fait que nos sociétés sont marquées par une crise de représentation et de cette crise, plusieurs rationalités alternatives émergent. Nous chercherons à comprendre quelques-unes d’entre elles. Ensuite, nous aborderons la question du fondement de la participation politique, Et enfin, nous proposerons l’éducation à la subversionet à l’invention d’utopiescomme horizon en vue d’un espace afro-congolais qui donne des raisons d’espérer à ses fils et filles.  
II. Approche de la situation sociopolitique dans la région des grands lacs africains
L’actualité sociopolitique de la Région des Grands Lacs en particulier, et celle de l’Afrique en général, révèle que les chroniques sur les affres des seigneurs de guerres qui continuent à semer la désolation en Centre Afrique, au Soudan du Sud, en Somalie, dans la partie Est de la RD Congo, etc. ainsi que celle du terrorisme, au Mali, au Cameroun, au Nigéria, au Tchad, etc., ont cédé la place aux annales des dialogues nationaux et révisions constitutionnelles. Ces deux thèmes déferlent l’actualité des médias tant nationaux qu’internationaux : du Tchad à la RD. Congo en passant par le Cameroun, la Côte-d’Ivoire et le Sénégal ; de l’Ouganda au Gabon, via le Burundi et le Rwanda jusqu’au Congo Brazzaville, le dialogue ou la révision constitutionnelle sont évoqués. Dans la foulée, la question du dialogue a atteint son paroxysme en RD Congo ; de la rue au haut lieu du savoir, l’on parle du dialogue national ! Qu’il soit dialogue ou monologue à deux, inclusif ou non inclusif, peu importe. Que l’accord soit signé dans son intégralité ou « sous réserve », chacun le comprend à sa manière. Toutefois, au cœur de ces forums nationaux, une chose est évidente : la plupart des pays africains ont à faire à des chefs d’Etat, mieux à un ordre sociopolitique qui n’est pas prêts à accepter l’alternance. En outre, la plupart de nos systèmes politiques qui se disent « démocratiques », sont marqués par la crise de la représentation.  
I.1. La crise de la représentation 
La participation politique dont il est question dans notre argumentation, est à saisir dans la perspective d’une démocratie représentative ; c’est-à-dire celle qui a pour caractéristique majeur : la délégation du pouvoir entre les mains des représentants. Cette dernière est caractérisée par le fait que les partis politiques accèdent au pouvoir par la pratique des élections voulues libres et démocratiques.[2]Or, la réalité montre que l’espace afro-congolais vit une crise de représentation. C’est dire que le fossé qui existe, une fois les élections passées, entre les élus et leurs électeurs révèle, le talon d’Achille de la démocratie représentative. En effet, « devenus représentants du peuple, les élus, divisés en deux camps, Opposition et Majorité, gouvernent seuls et travaillent d’abord pour assurer leurs intérêts personnels, ceux de leurs « autorités morales », de leurs partis politiques, de leurs regroupements, et de leurs électeurs s’il en reste encore à défendre ou à convoyer. Ceux-ci – les électeurs ne disposent d’aucun pouvoir sur leurs élus sauf lors des prochaines échéances électorales.»[3]
L’actualité sociopolitique de notre société  révèle que, devant cette crise de la représentation, d’autres formes de rationalités, en guise de réaction, sont déployées. Il serait opportun de nous arrêter sur les nouvelles rationalités qui émergent dans l’espace afro-congolais.  
II. 2. Une compréhension des nouvelles rationalités sur la participation politique
En prêtant oreille aux différentes couches sociales de nos sociétés, des rationalités pertinentes se déploient au sujet de la situation sociopolitique de l’Afro-Congo. Ces rationalités  constituent le creuset d’une pensée politique qui doit constituer la clé de lecture de toute action salvatrice de notre société en décadence. Notre espace de vie nous présente un tableau à deux clivages : d’une part, le « bas peuple » alimente ce que nous nommons pensée politique populaire, et d’autre part, la classe d’élites nourrit une pensée que nous appelons pensée politique dans les hauts lieux du savoir.
Ø  La pensée politique populaire
Nous entendons par pensée politique populaire, les diverses rationalités qui se développent hors des agitations politiques et politiciennes, au sujet de la situation que traverse l’espace afro-congolais. C'est-à-dire celles articulées par ceux que l’on a tendance à nommer, à tort ou à raison, le « bas peuple » : les cambistes, les cordonniers, les artistes, les fossoyeurs, les marchands ambulants, les tireurs de pousse-pousse, les maraîchères, les vendeurs des journaux, etc. C’est en prêtant oreille à cette « pensée d’en bas » que l’on peut percevoir la dynamique qui anime la société. Dynamique qui constitue le cœur du berceau d’une véritable énergie du « changement ». Il s’agit d’une pensée qui émerge des périphéries existentielles de notre quotidienneté.
Lapensée politique populaire est caractérisée par le doute sur la capacité de l’ordre sociopolitique actuel  à changer profondément et positivement l’espace afro-congolais.[4]Pour Kä MANA, le « philosophe de l’imaginaire », ce doute n’est pas un doute sentimental ou une humeur factice, mais un doute de fond, basé sur une observation solide de la classe politique et argumenté de manière crédible dans une réflexion permanente.[5]Soulignons qu’il y a deux tendances dans la pensée politique populaire: le fatalo-pessimisme, d’une part, et le hic-et-nunctico-optimisme, d’autre part. 
  Le fatalo-pessimisme
Lefatalo-pessimismeest la conviction selon laquelle – au vu de la manière dont une situation se déploie – rien ne peut changer de manière positive, ou donner des raisons d’espérer. Il convient simplement de s’accommoder de la situation qui se présente à nous, rien de plus ; parce que l’on en peut rien ! Les fatalo-pessimistes sont persuadés que le mal qui ronge le pays a déjà atteint la « métastase ». L’Afrique ou la RD Congo constituent véritablement l’incarnation de la paupérisation anthropologique[6].Donc, rien ne peut être fait si ce n’est une thérapie palliative qui n’est autre que la débrouillardise ; parce que dans le contexte actuel, il faut chercher à « se retrouver ! », place au sauve-qui-peut : l’on est pleinement dans « une vie de vingt-quatre heures renouvelables », vie caractérisée par une insécurité généralisée : alimentaire, sanitaire, sécuritaire, éducationnelle, professionnelle, etc. Les expressions telles que « yo nde okobongisa mboka oyo » (Est-ce toi qui va arranger ce pays ?) ou « to teka kaka mboka oyo » (il ne nous reste plus qu’à vendre ce pays) etc. sont révélatrices d’un sentiment de consternation des personnes qui se croient devant une fatalité. Un peuple qui se croit véritablement être lesdamnées de la terre(Franz Fanon).
Le hic-et-nunctico-optimisme
Parhic-et-nunctico-optimismenous entendons la conviction selon laquelle – après analyse d’une situation donnée – le modus operandisuivit jusque-là se montre inopérant, et un changement sauveur hic et nuncs’avère nécessaire. Lorsque l’on pose la question aux partisans du hic-et-nunctico-optimisme : A quand l’Afrique (Kizerbo) ou A quand la RD. Congo ? A quand l’instauration d’un Etat de droit, d’égalité, de justice et de liberté ? La réponse est « claire comme neige », c’est ici et maintenant ! 
Lorsque l’on prend ces idées comme clé de lecture de la situation sociopolitique de la RD. Congo en particulier et du continent africain en général, l’on comprend mieux la lutte courageuse des mouvements tels que Balai citoyen(Burkina-Faso), Y’en a marre  (Sénégal), Trop c’est trop(Tchad), Tournons la page (Cameroun et Gabon), Filimbiou Lucha(RD Congo), etc. Ces mouvements sont une expression,  non seulement de la prise de conscience d’une frange importante de la population, mais aussi et surtout d’un désir de changement radical ici et maintenant. Cela transparaît dans leurs revendications légitimes et pertinentes : une vie humaine et humanisant. La répression, de fois sanglante, à laquelle ils font face, manifeste la rigidité des animateurs de l’actuel ordre sociopolitique à accepter le changement, la nouveauté : l’alternance. 
Ø  La pensée politique dans les hauts lieux du savoir[7]
Nous qualifions de pensée politique dans les hauts lieux du savoircelle qui se développe, de façon systématique, sur base des données et de normes liées à l’essence même des sciences philosophiques et sociopolitiques. Cette tendance est tenue par les utopico-réalistes. Il s’agit des pensées fournies par une certaine classe d’élites soit pour propager des illusions scientifiques à prétention réaliste en vue de maintenir – à tout prix – l’ordre politique en place et, par là d’assumer leur rôle de courtisans de la classe politique régnante, soit pour proposer des utopiespertinentes en vue d’œuvrer à la réalisation d’une société où règnent plus de justice, plus de liberté, plus d’égalité.  
Trois tendances se dessinent dans les hauts lieux du savoir. La première est constituée de ceux qui « se retrouvent » dans les arcanes de l’ordre politique en place. Ils concentrent toutes leurs énergies à produire des théories qui vont dans le sens de trafiquer la science avec des théories prétendument scientifiques, au profit d’uneclasse dirigeante. Des ouvrages controversés tels qu’Entre l’inanition de la nation et la révision constitutionnelle[8],un livre de politologie présenté comme un ouvrage de droit constitutionnel (A. Mbata), peuvent illustrer cette tendance. La deuxième est celle de ceux qui, soit ne « se retrouvent » pas, soit sont soucieux de l’instauration d’un Etat de droit. Ainsi ils se montrent critiques non seulement envers l’ordre politique en place, mais aussi envers les théories à prétention scientifique de leur « think tank ». C’est le cas des écrits tels que RD Congo, la république des inconscients (M. Mutinga); Une nation congolaise à venir (P. Kabamba), La crise du Muntu (F. Ebousi), Les conférence nationale en Afrique noire, une affaire à suivre, (F. Ebousi), etc. La troisième tendance qui se dessine est constituée des quelques mosaïques des scientifiques honnêtes qui continuent la lutte pour que nos institutions supérieures et universitaires, nos centres de recherche redeviennent de véritables centres de rayonnement de la pensée, où se forment et œuvrent des hommes et des femmes passionnés de la recherche de la vérité. C’est dans cette ébénisterie que s’inscrivent les penseurs tels qu’Eboussi Boulaga, Achille Mbembe, Dambisa Mbayo, etc. 
II. Fondement de la participation politique 
Dire participation politique, c’est parler d’un des fondamentaux de la démocratie, directe ou indirecte. La question majeure de la démocratie est celle d’optimiser la participation du peuple dans la gestion de la chose publique. Pour R. Dahl, qui pose l’égalité politique comme fondement de la démocratie, il y a cinq critères qui déterminent le caractère démocratique d’un processus dans la gestion de la chose publique : la participation  réelle, l’égalité de vote, une information assurant une parfaite compréhension des enjeux, le contrôle de l’ordre du jour et l’inclusion de tous les citoyens majeursLa vision dahlienne de la démocratie à laquelle nous adhérons, révèle que la participation politique est l’une des formes majeures de l’expression de la démocratie ; parce que c’est le premier des critères d’une démocratie participative.[9]En ce sens, l’on entend par participation politique, l’acte par lequel un citoyen, ou un groupe des citoyens assume et tente d’influencer de manière directe ou indirecte, le cours des affaires publiques dans la société.[10]Cependant, il serait opportun de cerner le fondement de la participation politique en dehors du fait d’être un des critériums du caractère démocratique d’un Etat.
En parcourant la littérature sociopolitique, deux arguments recoupent le soubassement philosophique de la participation politique : un argument anthropologique, d’une part, et un argument politique-éthique d’autre part. Ces deux arguments, qui se recoupent dans une certaine mesure, transparaissent dans la réflexion de NGOMA-BINDA sur la participation politique. Pour ce dernier, la participation politique trouve son fondement dans un double sentiment : (1) le sentiment de la solidarité nécessaire à l’individu avec sa communauté (Anthropologie) ; et (2) le sentiment pressant de vouloir transformer sa société en vue d’une vie juste, appuyé sur l’exigence de reconnaître l’égalité de tous les individus (politico-éthique).[11]
Le premier fondement incruste l’approche anthropologique d’Aristote : Anthropos physei politikon zôon (l’homme est par nature un animal politique). Et, pour le Stagirite, l’homme est par nature un être destiné à vivre en cité en raison de la possession commune, avec ses semblables, d’un caractère distinctif : le logos.[12]Dans cette perspective, dès sa naissance, l’homme est dans une relation de concernement(Gadamer) avec la polis. Une fois conscient de sa solidarité avec la communauté qui l’habite et qu’il habite, il ne peut pas laisser son destin commun et individuel s’élaborer en dehors de lui, surtout lorsqu’il se rend compte que ce destin prend la direction qui lui fait vivre une « vie de vingt-quatre heures renouvelables ».[13]Quant au deuxième fondement, il s’insère dans les théories politiques et sociales contemporaines, qui sont majoritairement des paradigmes de la philosophie sociale : la question de la justice (John RAWLS, Philippe FONTAINE, etc.), celle de l’égalité (DAHL), de la liberté (I. BERLIN, R. NOZICK, Ph. PETTIT,), etc. En outre, non seulement la participation est régulée par les différentes lois fondamentales des Etats, mais elle se fait sur base d’un impératif éthique qui oblige chaque membre de la société à faire triompher la justice, la liberté, la redistribution équitable des ressources, etc. (Les formes de participation politique.[14]
III. Entre subversion[15]et invention d’utopie
Face à la crise de la représentation et la réalité tragi-comique dans laquelle vit l’Afro-congolais, plusieurs théories ont été et sont proposés pour que l’Africain, le Congolais sorte de « la grande nuit ». Paul KIBAL, par exemple, propose ce qu’il nomme « nouvelle démocratie directe » (NDD) dans l’objectif de permettre au souverain primaire de rester, de manière permanente, le détenteur du pouvoir à travers une participation politique réelle. La « nouvelle démocratie directe » est comprise comme un gouvernement par le peuple organisé, à partir des entités de base, en assemblée et en gouvernement dans le cadre d’une décentralisation optimale. Ainsi,  chaque entité de base a un représentant ou un porte-parole qui peut perdre son mandat s’il ne rend pas normalement compte à sa base.[16]
Cependant, après une analyse des différentes rationalités que développent le « bas-peuple » et le haut lieu du savoir sur la situation sociopolitique de l’espace afro-congolais, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire que la nouvelle génération afro-congolaise soit éduquée à la subversion et à l’invention d’utopies. Il s’agit d’une invitation à une remise en question radicalede l’ordre sociopolitique en place. C’est ainsi que l’on peut passer d’un afro-pessimisme ankylosantou d’un afro-optimisme aveuglant à une « afrotopia »[17] comprise comme volonté de penser ce que nous voulons être demain au présent. Il s’agit d’une formation qui rend le jeune Africain capable de dire assez, ç’en est trop !Cette subversion est à comprendre à trois niveaux : dia-logue critiqueavec l’ordre  établi,  changement de l’ordre établi et réinventiondes nouvellesutopies.  
II. 1. a.  Subversion comme nécessité d’un dia-logue critique avec l’ordre établi 
    La théorie subversive doit être basée sur une propédeutique de la situation qu’elle veut changer ; une bonne connaissance et compréhension de la situation et des savoirs accumulés sur la réalité qu’elle veut renverser. Sans une bonne connaissance de la situation historique qui a conduit au désir de rupture, l’action subversive devient une témérité aveugle. Or, le renversement qu’implique l’action subversive se montre comme volonté d’émancipation grâce à une action d’hétérodoxie, de non-concordisme, de non-conformisme face à un ordre en place qui semble en mal d’être porteur du progrès et du développement.[18]L’éducation à la subversion n’est pas une idéologie négationniste. Elle nécessite un dia-logueavec l’histoire et une tension vers la réinvention d’autres modèles économiques, sociales, politique, éthiques, etc. parce que l’ordre en place se montre inopérant. 
II. 1. b. Subversion comme urgence de changer l’ordre établi
Dans un contexte où l’Africain est marqué par une insécurité anthropologique : insécurité spirituelle et matérielle, le désir de changement ou de renversementde l’ordre sociopolitique en place est manifeste. De ce fait, il y a nécessité que l’Africain subisse un choc thérapeutique à même de transformer son imaginaire afin d’opérer ce saut subversifqui lui permettra de changer son vécu qui « semble se dérouler sous la modalité de l’être-jeté-dans-le-vide, dans la carence, bref dans la crise ».[19]Cette carence dénote l’incapacité de l’ordre politique en place de répondre aux besoins primaires de la population, de transformer l’insécurité anthropologique. Mieux de transformer la « situation dramatique de l’être africain »[20]caractérisée par la faimen un vécu qui lui donne des raisons d’espérer le passage d’un vécu marqué parlafaim sans fin (Nketo)à un vécu caractérisé, tant soit peu, par la fin de la faim sans finou d’une vie à genou. En plus, c’est la question sociale qui a toujours été à l’origine de toutes les révolutions depuis le début du temps moderne.[21]Donc, le désir de rupture avec l’ordre en place doit être un cri du cœur pour un changement radical. 
II. 1. c. Subversion comme inventiondes nouvelles utopies.
Il est indéniable que la situation politique de nos Etats africains nécessite un changement de paradigme. Ilnousfaut un autre modèle, d’autres types de leaders capables de transformer l’Afrique. Toutefois, ce désir de changement doit éviter à tout prix de « déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul », c'est-à-dire qu’il chercher à rompre avec une classe politique inopérante et non satisfaisante des aspirations du peuple, pour laisser la place à une autre de même nature. De ce fait, il ne s’agit pas de chercher un changement en soi, mais plutôt un changement en vue de proposer un autre mode opératoire plus efficace ; un type de leadership et de gouvernance qui réponde le mieux aux aspirations du peuple. 
Dans cette perspective, se limiter à critiquer de manière acerbe l’ordre socio-politique inopérant qui tire l’espace afro-congolais vers le bas et chercher unrenversementde celui-ci n’est qu’une partie du saut subversifque nous proposons. Une autre partie consiste à inventer le possible : penser, conceptualiser et prendre le risque de mettre en œuvre des nouvelles utopies, qui donnent des raisons d’espérer. L’utopie est à comprendre comme volonté de penser ce que nous voulons être demain au présent tout en prenant le risque d’œuvrer à sa réalisation déjà maintenant. Manquer à cette deuxième dimension du saut subversifpeut s’avérer nocif pour la société. 
Par ailleurs, la recherche d’un nouveau paradigme doit être et demeurer une quête inachevée ; caractéristique de toute démarche subversive de l’homme maqué par la finitude. Une démarche qui « crée un état d’incomplétude qui atteint le discours et l’ouvre structurellement à l’altérité. »[22]L’altérité est à comprendre ici, non seulement au sens d’alter ego,mais aussi comme alter tempus,alter génératio
L’actualité sociopolitique de la RD Congo nous permet de percevoir déjà, dans la nouvelle génération Afro-congolaise, l’invention – ici et maintenant – des nouvelles utopieset la lutte pour leur réalisation. C’est le cas des mouvements citoyens tels que FILIMBILUCHA, NOGEC, etc. Ces jeunes sans armes qui bravent crépitements des balles et gaz lacrymogène, ils défient policiers et militaires, acquis à un ordre totalitaire. Ils choisissent de rester en prison et rejettent une prétendue « grâce présidentielle ». Ils disent non à un accord politicien en brandissant le contrat social sur la place publique et exigent le respect de celui-ci. Ce sont là les empreintes qui marquent déjà l’éruption d’un saut subversif.Ils ne prônent rien d’autre qu’une rupture avec un ordre sociopolitique inopérant et injuste, expert en manœuvres politiciennes et proposent le respect de laloi fondamentale. Ainsi, ils escomptent participer davantage à la gestion de la chose publique.  
Faut-il conclure ? 
Nous avions commencé notre propos, en présentant, d’abord, une approche de la situation sociopolitique de la Région des Grands Lacs africains. Après avoir souligné la question de la crise de nos démocraties représentatives, nous sommes parvenus à ressortir trois rationalités à propos du vécu tragi-comique de l’afro-congolais : le fatalo-pessimisme, le hic-et-nunctico-optimismeet l’utopico-réalismele. Ensuite, nous avons abordé le fondement anthropologique et politico-éthique de la participation politiqueNous avons, en outre, souligné que les deux fondements se recoupent, et quecette participation politique se situe dans la perspective d’une démocratie représentative. Par participation politique, nous entendons « l’acte par lequel un citoyen ou un groupe des citoyens assume et tente d’influencer de manière directe ou indirecte, le cours des affaires publiques dans la société. »[23]Enfin, après une analyse des différentes rationalités que développent le « bas-peuple » et le haut lieu du savoir sur la situation sociopolitique de l’espace afro-congolais, nous sommes convaincu qu’il y a urgence de former la nouvelle génération afro-congolaise à la subversion. Celle-ci est comprise comme une nécessité de dialogueravec un ordre sociopolitique inopérant en vue d’une remise en question radicale, mieux une rupture avec ce dernier. Ceci, dans une perspective de proposer des nouvelles utopiesqui donnent des raisons d’espérer. C’est de cette manière que la nouvelle génération afro-congolaise pourra davantage participer à la gestion de la polis ; parce que : « Plus grande est la participation politique du citoyen, plus grandes sont les chances de transparence, de bonne gestion et de progrès de la nation et du monde. La dépolitisation du citoyen est source de l’appauvrissement de la nation ; une juste politisation est source de richesse et de puissance.»[24]




[1]Conférence donnée lors de la journée inter-facultaire 2016-2017, le samedi 14 janvier 2017 à Kinshasa. 
[2]P. Kiabal, « La nouvelles démocratie directe (NDD) théorie et modalité de sa mise en œuvre en République démocratique du Congo », inCongo-Afrique (N° 452) Férié 2011, pp. 488. 
[3]Idem.
[4]Kä ManaAu cœur des nouveaux mythes d’espérance politique en République Démocratique du Congo,in Gouvernance et Refondation de l’Etat en République Démocratique du Congo, Collection Culture & Mémoires Vivants, Pole Institute, 2013. P. 87.

[5]Idem.
[6]Ce terme nous l’empruntons de A. MVENG. Par paupérisation anthropologique, l’on comprend une pauvreté généralisée qui marque non seulement le vécu de l’Africain, mais aussi son être même. 
[7]Sur ce point nous exprimons notre gratitude au Professeur Willy MOKA, sj pour sa contribution ses éclaircissements.
[8]Nous faisons allusion à l’ouvrage d’E. BOSHAB paru en 2013 aux Editions Larcier.  
[9]R. Dahl., De la démocratie. Ed. Nouvelles Horizons, Paris 2001. P. 38. 
[10]Ngoma-Binda.,La participation politique, Éthique civique et politique pour une culture de la paix, de démocratie et bonne gouvernance, Ed. ifed, Kinshasa, 2005. P. 103.
[11]Ngoma-Binda., Op. Cit. p. 106 
[12]Aristote, Politique, Liv I, nn 10-11. Texte introduite et traduit par Jean AUBONBET.
[13]. Ngoma-Binda., Op. Cit.
[14]La littérature contemporaine retient trois formes de participation politique dans une démocratie représentative. (1) La participation politique indirecte : faire montre de conscience professionnelle ; l’engagement politico-intellectuel ; les groupes de pression. (2) La participation politique semi-directe : le droit d’exercer son droit de vote ; militer dans un parti politique. La participation politique directe : l’activité des personnes qui sont directement appelées ou associées à assumer les fonctions politico-administratives. 
[15]Nous voulons donc proposer une approche sémantique positive du mot subversion sans pour autant corrompre son étymologie. Il s’agit de partir de la signification première du mot sub-vertereafin d’opérer un renversement sémantiquedans la manière dont le mot subversionest appréhendé par le commun des mortels. La subversiontelle que nous l’entendons n’a pas de lien avec la violence ; parce que celle-ci ne peut être érigée en loi universelle, ni la désobéissance civile. 
[16]Idem, p. 489-490. 
[17]Ce terme, nous l’empruntons de Felwine SARR dans son ouvrage qui porte le même nom. pp.8-9. 
[18]Pamphile MabialaP. Op. cit. P. 8.
[19]Cléophas Nketo LumbaLa faim sans fin en Afrique, Paris, Ed. L’Harmattan, 2015, p. 76.
[20]OP. Cit. P. 62.
[21]Hannah Arendt, Essaie sur la révolution, Paris, Ed. Gallimard, 1967, p. 27.
[22]Jean Onaotsho Kawende. Rationalité pluraliste, éthique et société. Louvain-La Neuve, Ed. Academia-L ’Harmattan, 2016, P. 39.
[23]Ngoma-Binda.,La participation politique, Éthique civique et politique pour une culture de la paix,  de démocratie et bonne gouvernance, Ed. ifed, Kinshasa, 2005. P. 103.
[24]Idem. P. 18.

Commentaires

  1. Réponses
    1. Très cher Christian MUKADI, merci. Je peux lire, à travers vos propos, un cœur soucieux et aimant. Bien sûr, un désir profond vous anime de voir cette Afrique, cette RD Congo enfin prendre en mains ses responsabilités pour un lendemain meilleur. J'en conviens avec vous sur tous les points. Mais, il me semble que nous oublions un domaine très pertinent, et à mon humble avis, mérite d'être pris en compte.
      J'aimerai articuler mon propos en m'appuyant sur "la remise en question: base de la décolonisation mentale" de Mabika KALANDA. Si vous le permettez, j'ai le fichier en word prêt à vous être transféré.

      J'attendrai juste vos coordonnées pour ce faire. En attendant, sachez qu'au sein de cette lutte, vous n'êtes pas seul.

      Cordialement, Flory ILUNGA.

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    2. Merci pour ces mots cher Flory. Le blog est disponible pour les discutions. Ta contributions est le bienvenu.

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  2. C'est très bien dit Christian. Ceci est un appel pour nous jeunes à nous lever et prendre l'avenir en main

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    1. Merci Chère Gracia NgaJ. A Chacun de de faire ce qu'il peut pour "accroître l'Humanité aussi bien en soi qu'en l'autre".

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