L’espace Afrocongolais met-il notre raison à l’épreuve ?


L’espace Afrocongolais met-il notre raison à l’épreuve ?[1]

Par Christian MUKADI


1. Les théories sociopolitiques classiques semblent être en mal de prendre en charge la crise qui se vit dans l’espace afrocongolais. En réfléchissant sur la situation sociopolitique en Afrique, en général, et au Congo-Kinshasa, en particulier, l’on a l’impression que les théories sociopolitiques (justice, liberté, démocratie, droit, développement, etc.) héritées de canaux eurocentriques, semblent être en mal de s’entrainer dans le train-train de la quotidienneté afrocongolaise. En ce sens, l’espace afrocongolais semble être en crise paradigmatique. Cette difficulté d’une théorisation pertinente de ce qui se passe sur notre espace de vie peut être attribuée à deux attitudes qu’adoptent plus d’un scholar Afrocongolais. 

2. D’un côté, l’erreur de penser la situation sociopolitique afrocongolaise à la lumière des canaux eurocentriques. Plusieurs auteurs Afrocongolais prennent le modèle occidental comme criterium de leur croyance, de leur pensée et de leur agir. Or, aussi longtemps que l’on prend l’Europe comme modèle et critère d’évaluation de notre espace de vie, tous les indicateurs sociopolitiques afrocongolais resteront à jamais au rouge. Non parce qu’ils le sont réellement, mais simplement parce les critères d’évaluation ne correspondent pas aux réalités afrocongolaises. En effet, à chaque époque de l’histoire, chaque peuple définit ce qui est Vrai, Bon et Juste (idéaux) pour lui. Il adopte les démarches nécessaires pour atteindre ces idéaux ; lesquels constituent un horizon qui lui entraine dans une quête incessante. Ceux-ci constituent ainsi sa vision du monde, ses raisons d’être et d’agir. L’espace afrocongolais, comme acteur, devrait se choisir et assumer ses idéaux à partir de sa vision du monde.  

3. De l’autre côté nous avons l’erreur de penser l’afrocongo comme une monade : penser une organisation sociopolitique à partir, par, pour et en l’afrocongo. À cette tendance, il sied de rappeler que chaque culture, chaque peuple se construit et construit à partir de ses créations propres, mais aussi à partir des emprunts. Ainsi, sans se contenter du narcissisme puéril, ni opter pour une forme d’Afrocentrisme suicidaire, l’espace afrocongolais doit savoir valoriser ses créations qui accroissent l’humanité ; et avoir le courage et l’humilité d’emprunter ce qui est bon chez autrui. Car une culture s’accroit et se développe lorsque sa vision du monde constitue sa matrice dont la lecture se fait à partir de ses réalités propres ainsi que celles auxquelles font face les autres ; parce que, somme toute, nous partageons la même humanité. 




Quelle est la nature de nos systèmes sociopolitiques ? 

4. Pour comprendre ce qui se passe dans l’espace afrocongolais, il nous paraît impérieux d’entrer dans la rationalité afrocongolaise. Les auteurs tels que Anta Diop[2], Mudimbe[3], M. Asante[4], Flewin Sarr[5]et Ngoma Binda[6]ont saisi, chacun à sa manière, l’impérative d’une société qui se pense à partir d’elle-même tout en s’ouvrant de manière sage et prudente aux expériences d’autres cultures. De cette manière, les expériences afrocongolaises de joie et de peine, de succès et d’échec, de vie et de mort constitueront une véritable source d’inspiration pour la construction d’une organisation sociétale viable et vivable. Décrivant les systèmes sociopolitiques afrocongolais, certains auteurs parlent même d’unepolitique du ventre (J. F. Bayard), si ce n’est pas une politique de zombification(W. Moka). Ces termes sont, somme toute, description d’un système politique qui échappe à toutes les théories sociopolitiques classiques, c’est-à-dire occidentales. En effet, les systèmes politiques de l’espace afrocongolais ne sont ni dictatoriaux ni démocratiques, moins encore monarchiques ou républicains. A ce niveau il serait peut-être opportun de reprendre à nouveau cette question que plusieurs se sont posé : quelle est la nature de notre système sociopolitique ? L’investigation sur le régime de notre organisation sociétale nous aidera à saisir ses idées-forces pour les exploiter, ainsi que les tares pour les extirper. 

5. En dépit de querelles d’écoles, réfléchir sur un Afrocongo où ses filles et fils trouvent des raisons d’espérer est une préoccupation légitime. Le quotidien marqué par une certaine exubérance de la vie mauvaise que subit de manière active et passive les Afrocongolais sous plusieurs modalités ne peut nous laisser indifférents. La gouvernance calamiteuse imposée à un peuple qui mérite mieux, tenaille plusieurs hommes et femmes indignés par une vie à genoux de l’Afrocongolais. La décadence de cet espace majestueux situé au cœur de l’Afrique est l’une des plaies que le berceau de l’humanité porte et dont le pansement, qu’exige la guérison, conduira nécessairement au salut de tout le continent. C’est dire que le rôle que joue la gâchette de l’Afriquequ’est l’espace afrocongolais nécessite la prise de conscience et la mobilisation de tous pour que ce pays ne demeure plus la scène de l’une des comédies sociopolitiques les plus aberrantes de l’histoire contemporaine.  

6. Toutefois, que ça soit une politique du ventreou de zombification, les uns pensent que l’espace afrocongolais va bien il y a peu, beaucoup mieux qu’il y a des décennies. Ainsi, il est important de préserver les acquis et éviter absolument l’inanition de la nation en taillant et révisant le texte qui nous fonde comme peuple selon que les circonstances l’exigent. C’est ainsi, qu’ils essaient d’exprimer leurpassion pour le Congo. Une passion qui les encourage à conserver le pouvoir coûte que coûte. Les autres, par contre, pensent que l’espace afrocongolais est à venir, ils sont convaincus que There is no Congo (J. Herbest ; G. Mills)La loi fondamentale qui nous fonde comme nation et peuple est foulée au pied. Le pouvoir en place se montre inopérant et incapable de répondre aux attentes de la population. Dans la situation confuse qu’est celle de l’espace afrocongolais,où se trouve la jeunesse ?




Une jeunesse en quête de sens pour son avenir ?

7. Lorsque nous observons la société afrocongolaise, trois tendances majeures se dégagent dans les sillages de la tranche d’âge qui est sensée portée l’avenir de cet espace. D’un côté nous avons ceux qui entretiennent un désespoir ankylosant sur leur futur au pays. Ils sont persuadés que mboka oyo ekobongwama lisusu te. Ils ne perçoivent leur avenir que dans un clair-obscur. La marche de la société, la manière dont le l’Afrocongo est géré ne leur donne aucune raison d’espérer. Ainsi, s’ils ne défoulent pas leurs frustrations dans une certaine quête du divinastreignante, le seul horizon prometteurest l’immigration. Si jadis il n’y avait que potoqui attirait plus d’un jeune de l’espace afrocongolais, depuis plus d’une décennie d’autres eldoradose sont ouverts sur le continent (RSA, Angola, le Tunisie, le Maroc, etc.). Ces pays d’Afrique, chacun à sa manière, semblent avoir résolument fait l’option préférentielle pour la raison. Ils construisent de plus en plus des sociétés humanisantes et humanisées.    

8. Cependant, il y a des jeunes qui pensent que tout va bien au Congo. Ils sont majoritairement soit issus de familles de la classe gouvernante ; soit membres de leurs cercles d’ami(e)s. Ils ont choisi d’être chantres du pouvoir en place. En bon grelots, leur travail est de faire bonne mine d’une bonne santé sociopolitique imaginaire de l’espace afrocongolais. On le voit à chaque manifestation publique drapelet à la main, en train de chanter la gloire de l’homme fort de Kingakati moyennant une modique somme d’argent, ou d’autres avantages. Ils vendent ainsi leurs consciences et cautionnent un pouvoir qui oppresse le peuple.     

9. En plus de ces deux tendances, l’on retrouve des jeunes, des étudiant(e)s Afrocongolais(e)s qui croient aux valeurs que portaient Kimpa Vita, Kimbangu, Nyerere, Nkrumah, Lumumba et Mandela. Ces jeunes qui pensent que l’espace afrocongolais nous appartient tous. Nous ne devons pas le laisser abimer ainsi pour un groupe d’aventuriers qui a pris en otage tout un peuple. Ces hommes et femmes pensent que seules les valeurs démocratiques de liberté, de justice, de droit et de bonne gouvernance peuvent constituer les bases d’une société juste. Une société qui donne des raisons d’espérer. Pour la liberté de tous, ces jeunes sont prêts à affronter la prison, le gaz lacrymogène et même l’artillerie. Ils sont ardents dans l’expression de leur ras-le-bol contre un système politique inopérant. Cette jeunesse consciente et engagée, refuse que l’actuel ordre sociopolitique dans l’espace afrocongolais — ordre qui par ailleurs leur a dépouillé de toute perspective d’avenir radieuse — ne leur arrache l’espoir de vivre leur lendemain. L’espérance d’une vie meilleure à construire ici et maintenant les mobilise et fait d’eux des acteurs, des architectes d’une société qui donne des raisons d’espérer. 

10. Les mouvements citoyens sont l’expression de cette tendance. Ils sont partout à travers le pays. Ces jeunes qui ont compris que la vie dans l’espace afrocongolais est devenue un terme ambigu. Ils sifflent (Filimbi)pour que nous puissions être tous mobilisés dans la lutte contre une société où les gouvernants vivent dans le luxe, l’opulence et l’aisance ; alors que les gouvernés vivent dans une précarité indescriptible. Devant cette épidémie sociopolitique, ils ne ménagent aucun effort pour exprimer leur consternation. Ils s’engagent de manière citoyenne pour le changement (Eccha) de l’ordre social. Ces jeunes luttent pour le changement (Lucha) dans une société afrocongolaise où la vie est synonyme de passionpour la classe dirigée et résurrectionpour la classe dirigeante. Ils pensent qu’il est temps de réfléchir sur les vraies questions du pays afin de mobiliser les capacités transformationnelles qui sont en veilleuse dans chaque Afrocongolais. Ils refusent ainsi que le l’Afrocongo demeure un océan des paroles et un désert d’idées (E. Bueya). Ces jeunes méritent notre attention. Nous devons écrire leurs histoires avec une plume d’or. Dans une société en manque de repère et de modèle d’engagement sociopolitique cohérent, la voie de la raison nous indique que ces jeunes ont quelque chose à nous dire. Ils doivent être inscrits dans notre patrimoine comme peuple, comme nation à venir.




Urgence de se prendre en charge ?

11. Comme nouvelles générations Afrocongolaises, nous sommes devant une responsabilité qui nous oblige de proposer non seulement une pensée, mais aussi une praxis porteuse des germes d’espérance. Il s’agit de proposer des modèles qui permettent aux Africongolais de développer des utopiesqui les portent à un agir transformationnel au profit de leur situation d’aujourd’hui et de demain. C’est ici et maintenant que les filles et fils de l’espace afrocongolais doivent proposer des modèles d’action salutaires pour que le chemin de croix que traverse l’Afrocongo s’achève non par la mort, mais par la résurrection.

12. Préposer des utopies actives (Flewin Sarr) suppose que l’on se pose des vraies questions ; celles qui dérangent. Se poser des questions exige de nous du courage ainsi que la capacité de nous remettre en question. L’on ne peut pas s’améliorer sans une constante remise en question. La somme de toute médiocrité est le caractère réfractaire à la remise en question. Nous devons nous regarder en face et nous demander s’il existe réellement une nation afrocongolaise au sens d’un peuple qui partagent un idéal commun pour lequel il est prêt à donner sa vie. Une nation où les jeunes trouvent des raisons d’espérer ; ou il y a nécessité de re-fonder la nation afrocongolaise ? Quelle éducation pour les nouvelles générations afrocongolaises devrions-nous préconiser ? Quel type de leadership devrions-nous embrasser ? Parce que l’on ne peut pas penser le l’Afrocongo comme une monade, mais comme une partie intégrante de l’Afrique. Ainsi, quel avenir pour l’Union Africaine dans son rôle denexuspour le « réveil » de l’Afrique ? 

13. Somme toute, sans être timoré ni téméraire, la jeunesse Afrocongolaise doit saisir la crise afrocongolaise à bras le corps afin de la transformer en opportunité. Le mot crise est à prendre dans son sens grec : krisisqui signifie en même temps jugementetopportunité. En effet, la crise devient une opportunité dans la mesure où nous la saisissons comme moment de tension et de changement rapide qui met à l’épreuve notre imaginaire, et le booste sur le sentier du sens. Un sens qui nous invite à toujours travailler pour l’accroissement de l’humanité. Ainsi, chaque situation de crise exige de nous un jugement rationnel et des choix judicieux. Comme jeunesse Afrocongalaise, il est opportun de faire halte et de réfléchir sur notre devenir comme légataires de cette nation au cœur du continent africain. Nous sommes dans le devoir de stopper la dérive à laquelle notre société a été entrainée depuis quelques décennies. De la sorte, nous serons à même d’œuvrer pour une société qui donne des raisons d’espérer à ses filles et fils.




[1]Par afrocongolais nous entendons la similitude entre ce qui se passe en RC Congo et dans beaucoup d’autres pays africains sur le plan de la pensée et de l’agir individuel ou collectif. Principalement dans les pays de la Région des Grands Lacs. 
[2]Cf. Les Fondements culturels, techniques et industriels d’un futur état fédéral d’Afrique noire
[3]Cf.  L’invention de l’Afrique ou bien L’odeur du père
[4]Cf. Afrocentrycity, a théorie of social change
[5]Cf.  Afrotopia
[6]Cf.  Démocratie libérale communautaire  

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