La vocation de l’universel

La vocation de l’universel


1. De la responsabilité que j’ai envers mon prochain, E. Levinas disait ceci : quoiqu’il advienne, je suis responsable de la responsabilité de l'autre(Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence). Par cette phrase, ce philosophe Français voulait nous rappeler que par le fait d’être — humain, nous sommes responsables de l’Autre ; jusqu’au point où cet Autre nous prend en otage ; c’est-à-dire fait de nous son gardien. 

2. Ainsi, notre vocation la plus profonde consiste à être responsable de l’Autre tel qu’il m’apparaît. Et chaque fois que nous rencontrons l’Autre, la nudité de son visage nous rappelle notre vocation : être otage de l’Autre. Par nudité, Levinas entend la manière dont l’autre m’apparait dans son vécu quotidien : dans sa misère, sa famine, sa soif ; dans sa fragilité ; dans ce qu’il subit comme persécution, comme discrimination, comme injustices. En rencontrant l’Autre dans sa nudité, son visage me parle ; il m’interpelle. Son visage me dit : ne me tue pas ; prends soin de moi ; donne-moi à boire ; donne-moi à manger ; prends soins de moi. 

3. Certes, cette philosophie de Levinas est à situer dans son contexte. Cependant, elle est une méditation sur une vie humaine sacrifiée sur l’autel de la violence, de l’animosité et la cruauté d’un cœur humain sans scrupule. En ce sens, la pensée de Levinas se situe dans la perspective d’un homme qui rappelle à notre conscience ce que nous sommes censés être foncièrement. Il nous rappelle que l’on ne devient pleinement homme, l’on ne s’accomplit comme être humain que dans la mesure où l’on travaille pour que l’Autre soit respecté dans son humanité. C’est à ce prix que le monde peut s’humanisé. En ce sens, grandir en humanité signifie faire sienne la vocation de l’universel. Celle-ci consiste à accroître le bien-être aussi bien en soi qu’en ses semblables ; à leur apporter le désire et le courage de vivre surtout lorsque le désespoir semble l’emporter sur l’espérance ; lorsque l’angoisse devient le mode vie. Accroitre le désire et le courage de vivre consiste aussi à travailler pour une exploitation responsable de l’environnement pour que les générations futures trouvent un environnement habitable. Ceci reste encore hypothétique dans ce monde néolibéral consacré par le capitalisme sauvage qui accélère la décadence cosmique. 




4. La vocation de l’universel est une compréhension de notre première vocation profonde, celle qui nous rend semblable au divin : l’amour, la charité. En effet, nous avons été créés pour aimer et être aimer disait Mère Theresa de Calcutta (Discours d’Oslo)Il n’y a que la charité qui nous rend semblable à Dieu ; parce que Dieu est amour. Ainsi, l’amour nous place dans la transcendance.  Parlant de l’essence aimante de Dieu, Teilhard de Chardin affirmait : « ma foi la plus chère est que quelque chose d’aimant constitue la nature la plus profonde de l’univers en expansion ». C’est en ce sens que l’on peut comprendre la célèbre phrase au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour (Jean de la Croix). Notre nature humaine est pleinement accomplie lorsque nous aimons vraiment ; parce que l’amour nous rend divin (Psaume 8). De surcroit, notre vocation est celle d’être des saints (Éphésien 1, 4). L’amour n’est pas à prendre comme simple pulsion qui cherche satisfaction dans un acte érotique. L’amour est à comprendre ici comme cet acte créateur qui nous engage à prendre soin de nos semblables, à œuvrer pour leur cause, spécialement pour ceux qui sont dans le besoin.     

5. Faire sienne la vocation de l’universel signifie avoir constamment en mémoire cette question de notre Seigneur : qu’as-tu fait de ton frère ? (Genèse 4, 9-10). Qu’avons-nous fait de ces milliers d’enfants qui meurent de famine ; qu’avons-nous fait de ses milliers ces hommes et femmes violés et violentés par nos sociétés structurellement injustes ? Répondrions-nous à la caïnne : qui m’a établi gardien de mon frère ? Où chercherons-nous à assumer notre responsabilité d’être créés un peu moindre que des dieux (Ps 8), c’est-à-dire destinés à aimer et à être aimés ? Ou encore, allons-nous opté pour la civilisation de l’indifférence (Pape François) qui gouverne ce monde où certains meurent parce qu’ils ont beaucoup bu et mangé et d’autres succombent parce qu’ils n’ont ni mangé, ni bu ?

Christian Mukadi, SJ


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